Loyers abusifs à Bruxelles : retour d’expérience d’une séance à la Commission paritaire locative
- François Cartuyvels
- 4 juin
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Ce mercredi 4 juin, en notre qualité de gestionnaire immobilier, nous avons été convoqués à une séance de la Commission paritaire locative de la Région de Bruxelles-Capitale, suite à une demande introduite par la locataire d’un appartement situé à Etterbeek. L’objet de la procédure : évaluer le caractère prétendument abusif du loyer pratiqué.
L’invitation nous est parvenue le 30 mai, nous laissant un délai de seulement cinq jours pour nous organiser. Une demande de report a été immédiatement introduite, sans succès – sauf cas de force majeure, aucun report n’est admis.
Malgré ce calendrier contraint, nous avons assisté à la séance, aux côtés de la locataire et du propriétaire. Étaient également présents : un président de séance, deux représentants des locataires et deux représentants des bailleurs. La réunion, brève, a duré à peine quinze minutes, comme les quatorze autres prévues ce jour-là.

Un bien de qualité, dans un quartier prisé
Le logement concerné est un appartement deux chambres, bénéficiant d’une vue dégagée et d’une localisation stratégique à proximité immédiate des institutions européennes. La desserte en transports est exceptionnelle : gare de Mérode, métro, Montgomery, plusieurs lignes de bus et tram à quelques minutes à pied. Le bien est situé dans un immeuble de caractère, entièrement rénové en 2019, avec des matériaux de qualité. Parquet en bois massif, finitions soignées, belle luminosité : autant d’éléments qui contribuent à son attractivité.
Les locataires sont un couple eurocrate trentenaires, disposant de revenus confortables et stables. Leur situation financière ne les rend pas particulièrement vulnérables sur le marché locatif.
Un marché locatif sous tension et une grille de référence des loyers obsolète
Le bail a débuté en août 2023. Le loyer mensuel, indexé, s’élève aujourd'hui à 1.359 €. Selon la grille indicative régionale, le loyer de référence médian pour ce bien serait de 1.002 €. Le seuil au-delà duquel un loyer est considéré comme potentiellement abusif est de 1.202 €.
Bien que le bien offre des prestations supérieures à la moyenne, il est désormais formellement susceptible d’être requalifié comme abusif au sens de l’ordonnance régionale entrée en vigueur le 1er mai 2025.
Une analyse du marché locatif sur Etterbeek via Immoweb révèle qu’à la date de l’analyse, 102 appartements 2 chambres étaient proposés à la location. Parmi ceux-ci, 75 % affichaient un loyer supérieur à celui de l’appartement objet de la plainte.
Le logement en question se situe donc dans la tranche basse des loyers pratiqués pour des biens similaires dans le même quartier.
Surtout, le loyer moyen constaté sur Immoweb est nettement supérieur aux montants de la grille indicative.
Une réforme aux effets contreproductifs
Ce que révèle cette expérience est préoccupant. D’une part, seuls des locataires bien informés, issus de la classe moyenne supérieure, semblent en mesure d’entamer une telle démarche. D’autre part, le dispositif risque d’engorger les commissions et tribunaux pour des situations peu prioritaires au regard des objectifs initiaux de la réforme.
Le message envoyé aux bailleurs est paradoxal : plutôt que d’encourager l’investissement dans la qualité et la rénovation du parc locatif, la grille produit l’effet inverse.
Le débat de fond reste flou : cherche-t-on à empêcher la hausse généralisée des loyers, ou à sanctionner les véritables abus ?
Dans les deux cas, la mesure passe à côté du principal problème : un déficit structurel d’offre de logements.
Augmenter l’offre pour freiner durablement la hausse des loyers
Face à une demande soutenue et une offre structurellement insuffisante, les loyers augmentent mécaniquement. Plutôt que de multiplier les dispositifs de contrôle, souvent mal ciblés et contre-productifs, il me semble plus pertinent de s’attaquer aux causes profondes de cette dynamique. L’augmentation de l’offre est la seule voie durable pour stabiliser les loyers et garantir un accès au logement de qualité.
Cela passe notamment par :
Limiter l’essor d’Airbnb, dont l’impact sur l’offre locative classique est massif. En 2024, plus de 6.000 biens étaient proposés à Bruxelles via cette plateforme, dont plus de la moitié par des hôtes professionnels disposant de plusieurs logements (source : L’Echo).
Encourager le coliving, qui répond à la demande croissante de flexibilité pour les jeunes actifs urbains.
Faciliter les divisions légales de grands logements en unités plus petites et abordables.
Stimuler la reconversion des bureaux en logements, notamment dans les quartiers périphériques ou les immeubles inoccupés.
Encourager le recours aux Agences Immobilières Sociales (AIS), particulièrement adaptées aux biens issus du parc privé pour lesquels les propriétaires ne disposent pas du budget nécessaire à leur rénovation. Les AIS offrent, en contrepartie d’un loyer modéré, des aides à la remise en état, et une sécurité locative.
C’est donc, à notre sens, en élargissant l’offre de logements que nous pourrons garantir un marché locatif équilibré, accessible et de qualité.
Par ailleurs, nous sommes pleinement favorables à ce que la justice poursuive et sanctionne les véritables abus, en particulier ceux de certains marchands de sommeil qui louent des logements insalubres à des prix scandaleux. Ces pratiques doivent être combattues avec fermeté, car elles nuisent autant aux locataires qu’à l’image de l’ensemble du secteur.
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